Entrevues avec quatre leaders de l’industrie solaire

La conclusion de l’étude publiée par Nergica en mai 2021 est claire : le Québec a un fort potentiel solaire qui est sous-exploité pour le moment. Plusieurs entreprises établies au Québec travaillent dans le domaine de l’énergie solaire depuis des années. Nous avons sollicité des représentants de quatre d’entre elles pour en savoir plus sur l’industrie solaire au Québec et sur leur vision quant à son évolution dans les prochaines années.

Entrevues avec Jean Roy, vice-président principal de Kruger Énergie; Mike Perrault, président de Rematek-Énergie; Normand Lord, président et chef de la direction chez STACE; et Alexandre Pépin-Ross, jusqu’à tout récemment chef de marché National, Solaire chez WSP et membre du conseil d’administration de l’Association québécoise de la production d’énergie renouvelable (AQPER). Nous nous sommes entretenus sur le rayonnement de la filière photovoltaïque (PV) au Québec et les quelques nuages qui limitent le développement de l’industrie solaire.

Portrait de quatre entreprise quebecoise de la filiere solaire avec entrevue de Mike Perrault de Rematek, Jean Roy de Kruger Energie, Normand Lord de Stace et Alexandre Pépin-Ross de WSP

Être établi au Québec : les avantages et les inconvénients

La possibilité d’avoir accès à de l’expertise en ingénierie, à une main-d’œuvre qualifiée ainsi qu’à de l’électricité verte à bas prix fait du Québec une région de choix pour les développeurs d’énergie solaire. Ces avantages permettent d’offrir des services d’ingénierie à prix compétitif et de profiter d’un bilan carbone attrayant. De plus, le Québec émerge comme un pôle dynamique et attrayant en matière de recherche et développement en PV en raison de nombreux acteurs clés installés sur le territoire et de projets phares qui y sont menés.

Selon Alexandre Pépin-Ross, « l’effervescence du monde des affaires par rapport aux énergies renouvelables et la synergie entre les partenaires sont vraiment uniques ». M. Pépin-Ross cite notamment l’AQPER et l’Association de l’industrie électrique du Québec (AIEQ) comme incubateurs de collaboration. La recherche collégiale et universitaire en solaire, menée au Cégep de la Gaspésie et des Îles par Nergica et à l’Université de Sherbrooke notamment, provoque également de nombreuses occasions d’innovation technologique et permet aux organisations de recruter du personnel qualifié.

Cependant, selon Jean Roy de Kruger Énergie, l’absence de concurrence à Hydro-Québec et la structure tarifaire en vigueur ne favorisent pas l’implantation d’énergies renouvelables; ils constituent même des freins à l’innovation. M. Pépin-Ross ajoute que le contexte énergétique au Québec est actuellement défavorable à l’implantation d’énergie solaire et éolienne, ce qui explique pourquoi la majorité des projets de WSP se réalisent en dehors de la province.

Le cadre légal existant au Québec constitue également une embûche à l’avancement de la filière PV. « Le cadre juridique actuel ne permet pas encore à l’énergie solaire de voir pleinement le jour. Néanmoins, nous sommes convaincus que le Québec est un endroit prometteur pour cette énergie et pour le développement de nouvelles technologies. Nous sommes, les Québécois, des pionniers en matière d’innovation technologique dans le domaine de l’électricité », affirme Normand Lord, président et chef de la direction chez STACE.

Pour Mike Perrault de Rématek-Énergie, être installé au Québec est gagnant sur tous les fronts. En raison de la fin du surplus énergétique d’Hydro-Québec, prévue pour 2026, et de la possibilité de pallier la demande en périodes de pointe, le solaire pourrait jouer un rôle majeur dans le mix énergétique québécois. La maîtrise de la langue française est également un argument de choix pour Rématek-Énergie, à qui le marché africain ouvre ses portes.

 

Un brillant avenir pour le solaire PV au Québec?

Les industriels interviewés sont convaincus qu’avec la demande énergétique croissante, le développement du solaire PV s’amplifiera au Québec. Cependant, cela risque de prendre encore un certain temps étant donné les surplus d’électricité, les coûts d’installation, le cadre légal en place et les investissements gouvernementaux actuels.

« Les coûts de production de l’énergie solaire PV ont chuté significativement entre 2010 et 2020, ce qui en fait une énergie concurrentielle et d’autant plus intéressante pour le Québec. À l’horizon 2030, le coût de l’énergie solaire sera d’ailleurs comparable, sinon inférieur, à celui des autres énergies renouvelables disponibles au Québec.  Déjà depuis 2018, le coût de l’énergie provenant de certaines installations solaires PV pour le secteur résidentiel a atteint la parité avec le tarif d’électricité d’Hydro-Québec », soutient Karim Belmokhtar, chargé de projet principal, recherche et innovation chez Nergica et auteur de l’étude  publiée en mai dernier.

Il est intéressant de souligner que le Québec jouit de conditions d’ensoleillement similaires à celles du Japon et de l’Allemagne, deux leaders mondiaux en énergie solaire PV. De plus, la performance des modules PV à basse température y est supérieure. Et pour faire face à l’enneigement, les panneaux bifaciaux gagnent en popularité. Le Québec remplit donc tous les critères pour attirer les investissements en énergie solaire!

À la vue des coûts actuels d’installation de modules PV, le coût de l’hydroélectricité et la structure tarifaire d’Hydro-Québec pour les surplus de production, l’autoproduction n’est pas nécessairement une solution de premier choix pour les bâtiments résidentiels et commerciaux. La technologie PV pourrait toutefois connaître un essor important pour les réseaux isolés, souligne Jean Roy. Pour les réseaux qui dépendent actuellement de la combustion de carburants, les bénéfices monétaires et environnementaux pourraient être plus importants. MM. Perrault et Pépin-Ross ajoutent qu’Hydro-Québec est de plus en plus intéressée par l’énergie solaire ; elle collabore déjà à plusieurs projets d’entreprises québécoises et d’ailleurs. « Je suis vraiment content de ce qui s’est passé au cours des deux dernières années. Comme le développement énergétique passe principalement par Hydro-Québec, il a été intéressant de voir la société d’État être plus ouverte à cette nouvelle filière », déclare M. Pépin-Ross.

À plus long terme, la fin du surplus annoncé par Hydro-Québec pour 2026 pourrait encourager l’installation de centrales solaires ainsi que l’autoproduction. MM. Lord et Perrault se montrent optimistes quant à l’augmentation des installations PV au Québec – que ce soit localement sur les toits de bâtiments résidentiels et commerciaux ou sous la forme de mini-parcs solaires pour les quartiers –, et à l’implantation de centrales solaires en collaboration avec Hydro-Québec.

Le président de STACE ajoute que les coûts d’investissement pour le solaire étant moins importants que les coûts de mise en œuvre de grandes infrastructures hydroélectriques, le solaire pourrait se frayer un chemin dans le mix énergétique au Québec. Les installations PV pourraient aussi « contribuer à la résilience du réseau en utilisant les centrales hydroélectriques comme une grande batterie écologique ».

Normand Lord évoque également la valorisation de terrains inexploités à proximité de quartiers résidentiels comme un argument en faveur du développement de technologies PV au Québec et cite un des projets de STACE en cours en France. L’installation d’une ferme solaire de 60 MW localisée sur un ancien site d’enfouissement devrait être finalisée d’ici la fin de l’année 2021 et ainsi desservir environ 70 000 habitants de Bordeaux.

Les représentants de WSP et de Rématek-Énergie soulignent également que l’essor du stockage pourrait permettre à l’énergie solaire de s’établir de façon plus considérable au Québec. M. Pépin-Ross indique « qu’au plan résidentiel, il serait pertinent d’évaluer l’utilisation de bornes de recharge bidirectionelles pour le réseau de distribution et d’utiliser les batteries de véhicules électriques pour soutenir la demande de pointe ».

Que manque-t-il pour profiter du potentiel solaire du Québec?

Les représentants de Rématek-Énergie, STACE et WSP sont convaincus que des barrières financières limitent le développement du solaire dans la province. Les incitatifs financiers presque inexistants ne favorisent pas l’autoproduction et les investissements gouvernementaux sont encore timides. Les modules solaires peinent à s’imposer face aux barrages hydroélectriques. M. Pépin-Ross avance qu’il serait opportun de lancer un appel d’offres spécifique à l’énergie solaire afin de privilégier cette ressource et de lui donner l’occasion de briller au Québec. Cela faciliterait la réalisation d’autres projets par la suite. Les experts et expertes des panels tenus par Nergica à l’occasion du dévoilement de leur étude solaire ont également suggéré que des appels d’offres spécifiques pourraient propulser l’énergie solaire. Un résumé de ces panels ainsi que les échanges sur l’avenir du solaire PV sont disponibles ici.

Un autre point qui revient fréquemment lorsqu’on évoque le déploiement du solaire au Québec est le monopole d’Hydro-Québec. Jean Roy de Kruger Énergie explique que le contrôle d’Hydro-Québec sur la vente au détail et son peu d’intérêt pour le solaire rend tout développement difficile. Il suggère la mise en place de conditions tarifaires plus généreuses et flexibles pour l’autoproduction dans le but de développer la filière. Un programme d’achat du type tarif de rachat (feed-in tariff) permettrait aussi de donner un coup d’envoi à la filière.

Normand Lord de STACE souligne que, considérant le coût actuel de l’électricité au Québec, le rendement du capital investi pour l’achat et l’installation de panneaux solaires est d’environ 12 ans. Le président de Rématek-Énergie, Mike Perrault, ajoute que la limite imposée par Hydro-Québec de 20 kW et de 50 kW pour les courants mono- et multiphasé sur le mesurage net – c’est-à-dire l’injection des surplus de production énergétique privée dans le réseau d’Hydro-Québec en échange de crédits – est également un facteur qui limite le déploiement d’installations solaires pour les bâtiments commerciaux.

De plus, M. Perrault propose la mise en place d’une sorte de taxe carbone qui permettrait d’encourager la transition énergétique en pénalisant la production plus polluante due à l’utilisation d’énergies fossiles.

L’augmentation de la contribution des énergies renouvelables à la production d’énergie au Québec nécessitera un changement des habitudes et des modèles existants. M. Lord affirme que « si le marché devient plus ouvert, que plus de gens installent des panneaux solaires résidentiels et qu’Hydro-Québec devient une réserve, une batterie en quelque sorte, la société d’État devrait pouvoir tarifer ce service de manière différente ».

Prévisions : futur lumineux pour la filière solaire québécoise

 En dépit des quelques nuages qui la menacent, l’énergie solaire a de beaux jours devant elle au Québec. L’industrie espère que les suggestions mentionnées ci-dessus et les recommandations de l’étude solaire réalisée par Nergica seront prises en considération par les décideurs. Les entrevues confirment que le Québec est une place de choix pour la filière PV, que ce soit pour les firmes de génie-conseil ou pour les entreprises de fabrication ou d’installation de technologies PV.

Pour le moment, les barrières au déploiement semblent être financières et légales, plutôt que techniques ou sociales. À l’exception des rudes hivers québécois qui vont nécessiter de développer une expertise en PV en climat froid, la technologie existe et est prête à être déployée. « Il n’y a donc pas besoin de réinventer la roue, lance Mike Perrault, il suffit de voir ce qui se passe en Écosse depuis 20 ans ». L’intérêt et l’acceptabilité sociale pour le solaire sont également au rendez-vous au Québec. Et grâce à l’ensoleillement dont jouit le Québec, l’énergie solaire est à quelques pas de percer le marché de l’énergie.

Comme le souligne Jean Roy de Kruger, le monopole actuel d’Hydro-Québec sur la production énergétique au Québec coupe les ailes de la technologie PV, mais nombreux pourraient s’intéresser à l’autoproduction si la société d’État montrait plus de flexibilité et offrait des conditions tarifaires plus avantageuses. Reste à voir comment les relations entre Hydro-Québec et les prosommateurs, soit les personnes qui produisent et consomment de l’énergie, vont évoluer alors que la production énergétique tend à se décentraliser.

Le futur nous dira quel rôle le solaire jouera dans le mix énergétique québécois. Ce qui est sûr toutefois, c’est que la filière rayonne déjà grâce à l’expertise de nos gens et le dynamisme de nombreux acteurs locaux qui font preuve d’innovation et d’ambition.

Comme l’indique Alexandre Pépin-Ross, « dans tout domaine, plus le nombre de projets augmente, plus les coûts baissent. Il faudra laisser le temps et l’espace à la technologie solaire pour prouver sa valeur et sa pertinence sur le mix énergétique québécois ».

Pour en savoir plus sur ces quatre entreprises québécoises qui font rayonner la filière solaire, vous pouvez consulter l’article Portrait de quatre entreprises de la filière solaire québécoise. Vous pouvez également consulter l’étude de Nergica, Énergie solaire photovoltaïque dans le mix énergétique québécois – Analyse et perspectives , qui porte sur l’énergie solaire PV et sa place dans la production énergétique mondiale, canadienne et québécoise.

 

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Entrevues avec Jean Roy, vice-président principal de Kruger Énergie; Mike Perrault, président de Rematek-Énergie; Normand Lord, président et chef de la direction chez STACE; et Alexandre Pépin-Ross, jusqu’à tout récemment chef de marché National, Solaire chez WSP et membre du conseil d’administration de l’Association québécoise de la production d’énergie renouvelable (AQPER). Nous nous sommes entretenus sur le rayonnement de la filière photovoltaïque (PV) au Québec et les quelques nuages qui limitent le développement de l’industrie solaire.