En marge de la 27e Conférence des parties (COP27), Nergica a tenu la deuxième édition de son Symposium Transition Solutions, le 15 novembre 2022, à l’Hôtel Delta, à Ottawa.
Fort du succès de la première édition pendant laquelle la nécessité d’accélérer la transition énergétique avait été démontrée, Nergica a convié des personnes clés du milieu de la recherche, de l’industrie et de la transition énergétique à travailler ensemble à l’élaboration de solutions concrètes et structurantes pouvant faciliter le déploiement rapide des énergies renouvelables.
Neuf expert·e·s provenant d’horizons différents ont partagé des regards croisés sur les freins à la transition énergétique canadienne. Guidé·e·s par Peter Tertzakian, modérateur et directeur adjoint de l’ARC Energy Research Institute, les panélistes et participant·e·s ont ensuite discuté des solutions à prioriser dans les domaines du financement, de la main-d’œuvre et du développement des infrastructures nécessaires à la transition énergétique.
Messages à retenir
- La collaboration est essentielle pour parvenir à la carboneutralité. La transition énergétique est un chantier de société faisant appel à l’ensemble des acteurs sociaux, politiques et économiques.
- La main-d’œuvre est le moteur de la transition énergétique. Devant l’ampleur des besoins à venir, il importe de bien planifier la formation de celle-ci, mais aussi de faciliter l’accessibilité à l’éducation dans ce secteur stratégique. Le rôle des collèges, des instituts et des universités est donc fondamental.
- Puisque le monde devra développer autant de capacités renouvelables pendant les cinq prochaines années qu’il aura pu le faire au cours des 20 dernières, l’innovation dans le secteur des technologies propres se doit d’être soutenue et considérée comme une priorité par les gouvernements et les entreprises.
Mot de bienvenue
Experts :
Peter Tertzakian, modérateur et directeur adjoint de l’ARC Energy Research Institute
Frédéric Côté, directeur général chez Nergica
L’urgence d’agir ensemble était au cœur du discours d’ouverture prononcé par Peter Tertzakian et Frédéric Côté.
« Lorsque l’on pense aux défis qui nous attendent et à l’ambition d’atteindre la carboneutralité d’ici à 2050, il ne reste plus que 20 ans. Il y a un sentiment d’urgence. » — Peter Tertzakian.
« Le temps file. Plus que jamais, il est important de se rassembler et de collaborer pour accélérer la transition énergétique et atteindre la carboneutralité. Nergica invite les parties prenantes à se mettre en mode solution et à agir dès maintenant. » — Frédéric Côté.
Bien que tous deux s’entendent sur le fait que les programmes mis en place pour appuyer la transition énergétique ne sont pas à déplorer, les cibles ambitieuses fixées par le Canada et chacune de ses provinces sont loin d’être atteintes :
- Québec : réduction de 37,5 % sous le niveau de 1990, d’ici 2030
- Ontario : réduction de 30 % par rapport au niveau de 2005, d’ici 2030
- Canada : réduction de 40 % à 45 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030
- Canada : carboneutralité d’ici 2050
Mais alors plusieurs questions restent en suspens :
Quelles sont les conditions gagnantes pour réussir la transition énergétique ? Que manque-t-il pour accélérer le passage des énergies fossiles vers les énergies renouvelables au Canada ? Quelles solutions pouvons-nous déployer dès maintenant pour favoriser une action rapide sur l’ensemble du territoire ? C’est sur ces questions que les panélistes et participant·e·s du Symposium Transition Solutions ont été invité·e·s à travailler.
Discussion 1 — Comment mieux planifier et financer la transition énergétique ?
Expert·e·s :
Peter Tertzakian, directeur adjoint de l’ARC Energy Research Institute
Mark Chapeskie, vice-président du développement des programmes à Ressources humaines, industrie électrique du Canada
Sara M. Alvarado, directrice générale de l’Institute for Sustainable Finance
Mark Chapeskie a donné le coup d’envoi à la première discussion portant sur la planification de la transition énergétique.
Selon lui, la main-d’œuvre dans l’industrie des énergies renouvelables est actuellement sous pression. De grands changements démographiques sont survenus avec la pandémie, et ce sont près de 300 000 Canadiennes et Canadiens qui ont pris leur retraite dans la dernière année et qui devront être remplacés. Aux nombreux postes déjà vacants s’ajouteront ceux qui seront bientôt créés dans le contexte de la transition énergétique. En conséquence, il sera de plus en plus difficile de trouver de la main-d’œuvre qualifiée pour pourvoir les postes nécessaires au déploiement des énergies renouvelables. En effet, selon les études disponibles, il faut cinq ans pour acquérir les compétences requises en partant de zéro – un élément hautement problématique lorsque l’on sait qu’on ne dispose que de très peu de temps !
« À long terme, nous savons que les besoins énergétiques augmenteront fortement. Par conséquent, nous aurons besoin d’au moins une fois et demie ou de deux fois plus de travailleurs spécialisés en énergies renouvelables pour répondre à la demande. » — Mark Chapeskie.
Sara M. Alvarado était d’accord pour dire que le manque de main-d’œuvre qualifiée est le principal goulot d’étranglement à l’accélération de la transition énergétique. En effet, trop souvent, l’argent est disponible, mais c’est le manque de ressources pour bien évaluer et qualifier les projets qui vient freiner le déploiement.
Actuellement, l’industrie de la finance, les compagnies d’assurance et les banques recherchent toutes activement de nouveaux talents ayant de l’expertise en développement durable afin de répondre à la demande croissante. Selon Sara, le développement durable ne devrait pas être un cours facultatif des programmes d’études en finance. Toute personne étudiant la finance devrait avoir des connaissances sur le développement durable.
« À tous les niveaux, les décideurs ont besoin de soutien et de conseillers ayant des connaissances en matière de développement durable pour les aider à prendre les bonnes décisions. » — Sara M. Alvarado.
À la suite de cette première discussion, les participant·e·s ont été invité·e·s à se pencher sur cette question: Comment le Canada peut-il s’assurer que la disponibilité de la main-d’œuvre et de l’expertise ne constitue pas un obstacle à une transition rapide ?
Voici, en rafale, quelques solutions proposées :
- Sensibiliser les jeunes, dès le plus jeune âge, à l’importance de la transition énergétique et encourager leur participation.
- Promouvoir les métiers des énergies renouvelables et de la transition énergétique, de même que les écoles, les collèges et les universités offrant des programmes spécialisés.
- Faciliter l’accès aux formations professionnelles et techniques dans les communautés isolées afin de pallier le manque de main-d’œuvre et permettre à celles-ci de prendre part activement au projet.
- Consolider les liens entre les établissements d’enseignement et les entreprises et développer des programmes de mentorat.
- Réunir les institutions de formation et les centres de recherche pour aider à tirer parti des meilleures pratiques et diffuser l’information aux collèges et aux universités afin de répondre aux besoins de l’industrie.
- Former les décideurs et la main-d’œuvre déjà en place et leur fournir le soutien nécessaire.
Discussion 2 : Comment accélérer la mise en place des infrastructures et le déploiement rapide des alternatives vertes ?
Experts :
Peter Tertzakian, directeur adjoint de l’ARC Energy Research Institute
Moe Kabbara, directeur de l’électrification à l’Accélérateur de transition
Yvan Cliche, fellow, chercheur senior en énergie au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM)
Stuart Galloway, vice-président directeur / Ouest du Canada à la SOFIAC
« Le Canada dispose de toutes les ressources naturelles nécessaires à la transition énergétique, comme l’énergie solaire, l’éolien ou l’hydroélectricité. Nous avons aussi de l’argent pour le faire. C’est frustrant de ne pas pouvoir aller plus vite. La collaboration est si importante. » — Peter Tertzakian
Expert dans le domaine des énergies renouvelables et des changements climatiques, Moe Kabbara a dès le départ identifié le manque d’alignement des politiques entre les différents niveaux de compétence comme un frein à la transition énergétique. Il a notamment cité comme exemple les services publics, qui n’ont généralement pas le mandat de développer un réseau carboneutre, et qui veulent plutôt offrir le coût le plus bas possible. Comment faire en sorte que les objectifs fédéraux de 2030 et de 2050 se traduisent dans les autorités provinciales et puis dans les services publics ?
Fort de son expertise en géopolitique de l’énergie, Yvan Cliche a pour sa part mis l’accent sur les besoins énergétiques croissants et les vastes et profonds changements qui en découleront. En effet, l’augmentation des besoins en énergies renouvelables se traduira, par exemple, par une multiplication des parcs éoliens et solaires, des lignes électriques et des sites d’exploitation minière. Le paysage canadien en sera transformé, et nous devrons fort probablement nous tourner vers la Chine pour assurer notre approvisionnement en minéraux critiques.
De son côté, le spécialiste des structures de financement novatrices Stuart Galloway a souligné le fait qu’il y a beaucoup d’argent à investir dans des projets, mais qu’il n’y a pas nécessairement de financement accessible qui puisse investir de manière saine dans des projets d’énergie propre. De plus, le manque de perspective à long terme lors des prises de décision aujourd’hui aura un impact négatif sur notre capacité à atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Par exemple, un changement de chaudière ou de générateur en 2022 influencera nos résultats futurs.
« L’un des problèmes ou obstacles à l’investissement est la paralysie par l’analyse. Nous devons cesser de produire des rapports sans fin et agir, tout simplement. » — Stuart Galloway
À la suite de cette deuxième discussion, les participant·e·s ont été invité·e·s à se pencher sur cette question : Quel est le principal obstacle à la mise en place d’une infrastructure de transition et quelles sont les solutions ?
Voici, en rafale, quelques solutions proposées :
- Récompenser les bons élèves (provinces) dans une approche carotte et bâton.
- Sensibiliser les dirigeants à la nécessité de partager l’énergie entre les provinces.
- Présenter la transition énergétique comme un défi collectif plutôt qu’un défi individuel.
- Étudier les ressources de chaque région et trouver des solutions personnalisées en fonction de l’emplacement.
- Dépolitiser la transition énergétique et développer un narratif rassembleur qui marque les esprits pour mieux convaincre les différentes parties prenantes et la population.
- Développer le sentiment d’urgence à agir.
« La collaboration est importante, mais il est essentiel de développer une forme plus cohérente de collaboration. » — Moe Kabbara.
Table ronde : Actions pour accélérer la transition
Expert·e·s :
Peter Tertzakian, directeur adjoint, ARC Energy Research Institute
Frédéric Côté, directeur général, Nergica
Brandy Giannetta, vice-présidente, Politiques publiques, affaires gouvernementales et réglementaires, Association canadienne de l’énergie renouvelable
Eamonn McGuinty, conseiller politique principal auprès du ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Gouvernement du Canada
« Nous avons un casse-tête devant nous. Nous savons que nous avons toutes les pièces, mais nous n’avons pas la boîte avec l’image à recréer. Pour réussir, nous devons d’abord comprendre ce que nous essayons d’assembler avec notre casse-tête. Nous devons donc avoir une vision plus claire de ce à quoi ressemblera la vie dans un Canada carboneutre et de ce que nous essayons d’accomplir. » — Frédéric Côté.
Pour faire suite aux deux premières discussions, Peter Tertzakian a invité Frédéric Côté, Brandy Giannetta et Eamonn McGuinty à revenir sur les défis et solutions soulevés pour faire émerger quelques actions à mettre en priorité.
Eamonn McGuinty, qui représentait l’honorable Steven Guilbeault, a admis que la mise en œuvre des programmes de financement et de subvention était très lente, et que les entreprises et les personnes tardaient à en profiter. Selon lui, le manque de certitude par rapport au futur des énergies renouvelables freine les entreprises et les organisations à investir de manière audacieuse. Monsieur McGuinty a suggéré de regarder ce qui se faisait du côté du Royaume-Uni et de l’Allemagne avec les Carbon Contracts for Differences (CCFD), qui permettent de réduire l’incertitude sur les prix futurs du carbone. En effet, ce type de contrat vient éliminer le risque qu’un changement de gouvernement ou une instabilité politique vienne perturber le prix carbone, et contribue ainsi à stimuler les investissements dans les technologies propres.
Selon Brandy Giannetta, nous faisons face à un enjeu de portée et d’échelle quand vient le temps d’élaborer des solutions pour accélérer la transition énergétique. La vitesse d’exécution est cruciale, tout comme l’importance d’étendre à plus grande échelle les initiatives éprouvées, autant en innovation que du côté de la réglementation ou de la formation. Sur ce dernier point, elle a par ailleurs rappelé que CanREA collabore activement avec Ressources humaines, industrie électrique du Canada pour faire la lumière sur les différents parcours de formation et les besoins de certification, et s’assure que les différents milieux soient connectés avec les formateurs afin de préparer rapidement la main-d’œuvre nécessaire à la transition.
Finalement, Frédéric Côté, a rappelé le rôle important de la recherche appliquée et, de manière plus générale, du partage des connaissances. À titre de centre collégial de transfert de technologie (CCTT) affilié au Cégep de la Gaspésie et des Îles, Nergica contribue directement à la formation de la relève en énergies renouvelables. Il a par ailleurs souligné l’apport important des cégeps et des collèges dans la formation de la main-d’œuvre nécessaire à la transition énergétique, en citant l’exemple du Cégep de la Gaspésie et des Îles, qui adapte actuellement sa formation en génie électrique pour répondre aux besoins de l’industrie éolienne. Il s’agit, selon lui, d’une solution qui pourrait facilement être déployée à plus grande échelle.
Peter Tertzakian a repris le relais sur l’importance de la collaboration dans le milieu tout en soulignant les défis futurs qui restent à accomplir. Et c’est sur cette note que la deuxième édition du Symposium Transition Solutions se conclut, avec plusieurs messages à retenir quant à la contribution de chacun des acteurs du secteur de la transition énergétique canadienne mais aussi, et surtout, l’urgence d’agir vite et ensemble.